Il n’ose pas bouger dans cet espace inhabituel pour lui, trop propre et trop studieux. C’est la première fois qu’il franchit les portes de la Médiathèque. L’urgence de sa situation est plus forte que la peur, mais il ne peut s’empêcher de revivre une fois encore son exil. Et tend la main vers moi.

 

Elle est assise devant moi avec sa fille, sa sœur et sa nièce. Cachée derrière son voile, elle baisse les yeux. Sa vie est exposée au grand jour, traduite par sa fille dans un français qui lui échappe. Sa vie lui échappe. Elle m’est livrée en pâture et dépend de mes mots.

 

Il m’apparaît subitement alors que je suis occupée avec quelqu’un. Il se plante devant moi, sa stature nous en impose et nous englobe. Menace ou protection ? Une telle masse humaine, un tel regard noir, aussi noir que sa peau. Après des mois de lutte écrite, la mention sur son casier judiciaire est levée et il va enfin pouvoir obtenir sa carte professionnelle pour travailler dans la protection. Son sourire est plein de reconnaissance et moi, je suis saine et sauve.

 

La revoilà, arborant un sourire toujours aussi éclatant, ses cheveux recouverts d’un voile de soie noué sur le côté. Jamais le même. Des bijoux en or ornent ses oreilles, ses doigts et son décolleté généreux. Tiens, elle a encore un sac en cuir neuf. Quel décalage entre les problèmes exposés dans le creux de mon oreille et l’apparence de cette femme.

 

Il se lève et hurle que je dois accepter son billet de 20 €. Il éructe en portugais et gesticule. Son odeur est insupportable. J’accepte pour avoir la paix.

 

Elle est conduite par son mari. Elle est présentée par son mari. Je la regarde, elle, et lui pose des questions, à elle. Il répond, lui. Elle est en chaise roulante. Lui, debout. Mais qui est véritablement handicapé ?

 

C’est la première fois que je vois un homme battu. On dirait un enfant ou un chien. Il est perdu et cherche du regard un réconfort, une direction à prendre, une certitude, presque un ordre. Ses enfants à côté de lui sont comme des galets au milieu du désert.

 

Avec sa longue barbe noire et sa djellaba blanche, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée conventionnelle. Et puis, il me parle de son projet pour sortir les jeunes du quartier de la violence, lié à sa passion pour le foot. Et puis, il me parle de sa femme avec une telle douceur et une telle lumière dans les yeux que je ne peux m’empêcher d’avoir un peu honte. Je me concentre alors sur son courrier en essayant de ne plus penser.

 

Il voudrait que je vote Asselineau. À chaque fois qu’il vient, quelle que soit sa demande, il me tend un tract avec le nom d’un site Internet, pour que je regarde qui est Asselineau. Voilà seulement quelques semaines que je vois le visage d’Asselineau sur les affiches d’élection présidentielle. Il lui ressemble étrangement.

 

Je suis sa confidente officielle, son avocate bénévole et voilà qu’il vient me dire qu’il déménage. Étrange, ce petit pincement au cœur.

 

Texte écrit en hommage à ma permanence d’écrivain public à la médiathèque de Creil